Arrivé dans ce beau pays en 1978, je cherchais vite mes repères, à la mesure de mes goûts éclectiques : dans la musique contemporaine, la mélodie française, et dans ce qu’on appelait avec fierté « la musique ancienne ». C’était Bill Christie lui-même qui m’avait suggéré d’auditionner pour Jean-Claude, étant donné qu’avec les Arts Florissants on ne gagnait que dalle. Oui, les enfants, l’on chantait par passion, et on cherchait les partitions par passion, on cherchait aussi le style authentique par passion, sans une seule pensée de carriérisme, et Jean-Claude fut un exemple. A la suite de mon audition, avec l’air de Bach ‘Ich habe Genug’, commença pour moi une phase dans ma vie musicale importante et déterminante, car la semaine d’après, Jean-Claude m’a demandé pour un concert, mon premier à Paris, et dans la Conciergerie, de la Cantate 82 en intégralité (le cachet à la sortie, 500 Francs, payé en liquide, mon premier). Un moment singulier et magique dont on me parle encore ! On ne s’explique pas ces choses, mais le tout Paris était présent. Voilà un exemple de la confiance entière que Jean-Claude donnait à ses proches et dont je lui suis reconnaissant, mais aussi de l’atmosphère contestataire, non-académique qui régnait, perdue de toute évidence aujourd’hui dans la musique subventionnée et avec ses jolis affiches en couleurs.
Il m’a engagé aussi pour le début de son aventure comme directeur de l’Atelier lyrique de Tourcoing, pour chanter l’énorme rôle-titre dans ‘Le roi Théodore à Venise’ de Paisiello. Jean-Claude aimait cette musique, et avait insisté pour la jouer dans son intégralité. Avec les textes parlés en Français, les très longs ensembles, les airs magnifiques, le défi pour moi fut énorme. Mais un triomphe était au rendez-vous : c’est difficile à notre époque d’imaginer l’importance de la culture musicale en France sous Jacques Lang, ni l’immense couverture presse de cette événement : le Monde, le Figaro, toute la presse mensuelle été présente. Le tremplin pour d’autres scènes était une évidence. Mon engagement au Châtelet pour ‘Les Indes galantes’ fut directement lié à ce spectacle, et beaucoup de scènes qui allaient suivre.
Je me rappelle de très nombreux concerts avec Jean-Claude dans les églises non-chauffées du ‘Messie’ de Handel ou la ‘Passion selon St-Jean’, mais notamment un concert de ‘Tamerlano’ de Handel, où la basse chante trois airs magnifiques. Pour la petite histoire, Malgoire avait rapidement vu le manuscrit qui contenait le troisième air, mais n’avait pas eu le temps de le transcrire pour le concert. Dans un dîner, j’ai montré mon très grand enthousiasme. Dans un coup de tête, Jean-Claude m’a payé de sa poche mon vol le lendemain pour passer un après-midi à Hambourg pour le copier moi-même dans la Staatsbibliothek, et c’est ma transcription que l’on a répété à Paris le surlendemain pour le concert et l’enregistrement : une de mes plus grands fiertés !
Si d’autres aventures se sont passés avec moins de bonheur, ce jour de sa disparition n’est pas le moment de les évoquer. J’ai eu le plaisir de serrer la main de Jean-Claude pour la dernière fois au Louvre, lors de la soirée qui lui était consacrée à lui et sa carrière il y a quelques années. Avec mes sincères condoléances à Renée et pour Florence. (photo : Senèque, L’incoronazione di Poppea, à L’Atelier lyrique de Tourcoing,1982)