L’INTERVIEW BURLESQUE

Pendant une série de spectacles de ‘Don Quichotte’ de Massenet au Brésil, à São Paulo et Rio de Janeiro, je tenais un journal de mes aventures, en français. Voici un petit extrait, jamais rendu public :                                                     L’INTERVIEW

Après avoir terminé une interview programmée à l’avance, la voix déjà chauffée, j’attends le maquilleur avant la Générale de Don Quichotte à São Paulo.  Je suis seul dans ma loge.  A ce moment revient à ma porte l’attachée de presse, avec un cameraman trébuchant sur son trépied.  Pourraient-ils juste s’installer pour un court entretien ?  Gregory, magnanime, donne son accord.

Le cameraman, un barbu maladroit dans les gestes et dans l’anglais, s’assoit.  Il travaille pour ARTE.

« Ah! », je dis.  Bon, « c’est pour l’ARTE brésilien », pour ainsi dire…

Il sort d’une poche un bout de papier bien froissé.  Il m’explique que je dois le regarder lui, pas la caméra.  Il n’a que deux questions.  Il me dit qu’il ne filme pas les questions, que je dois incorporer la question dans ma réponse.  OK, on tourne… je suis droit dans ma chaise.

En anglais massacré : « Quel est le rapport de Don Quichotte avec une contrebasse ? »

« Pardon ? »

Il répète maladroitement la phrase.

Une contrebasse ?  Je fais la geste d’en jouer.  Il répond avec le même geste.  Il hausse les épaules.  Je lui dis que n’étais pas sûr d’avoir compris la question…  Gêné, il m’explique que ce n’est de pas lui, mais de la journaliste, et qu’il n’est que le cameraman…

Je me demande sérieusement si je dois lui dire de revenir quand il saura son métier.  Je respire.  Très profondément.  Je réponds au cameraman avec un élan digne d’Horace, l’importance de ce rôle dans le répertoire de la basse.

Il a encore une question.  Même papier froissé, avec du mal à le lire…

Les longues secondes passent…  En anglais torturé, piétiné : « Qu’est-ce qui vous impressionne dans Don Quichotte ? »

Long silence.  Je suis sans voix.  C’est un gag ?  Raphael Mezrahi se cache-t-il dans les couloirs ? Je respire, je soupire, je synthétise.  Ce qui suit va être, doit être, digne de Descartes : un panorama inoubliable pour les spectateurs et les générations futures, de la scène des moulins à vent, de la musique de Massenet : un défi pour un artiste lyrique d’égaler un tel chef-d’œuvre.  Franchement, je me dépasse, moi-même, en éloquence.  Je suis Don Quichotte.

C’est terminé aussi abruptement et maladroitement qu’arrivé.  On sourit, tous les trois étourdis, puis on éclate de rire, d’un rire très profond.  Ce que je découvre fait beaucoup de bien avant un spectacle.  Je leur assure, que s’ils avaient eu la vidéo de nous tous en train de tourner, ils auraient tenu un des grands hits sur YouTube.

C’est l’heure du maquillage.

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