UN MOMENT DÉCISIF : ENTRAÎNÉ PAR LA FOULE

On n’osait croire à une victoire pareille. Longtemps toute une jeune génération de français souffrait d’une soif inassouvie d’appartenir véritablement à ce pays. Longtemps j’ai senti l’envie de m’exprimer sur ma joie d’être français.

Hier, la foule depuis l’Hôtel de Ville, jeune, souriante, de peau comme d’accent bigarré, nous a entraîné, dans les fanfares et les klaxons, au milieu des drapeaux et des banderoles, loin, très loin de notre quartier chic et bobo, pour entrevoir l’espoir et la joie, le long de la rue de Rivoli.

Jacques et moi, chacun brandissant un grand drapeau tricolore, nous avancions, juste pour savourer ce moment solaire. Participer à un tel mouvement n’était pas prévu, mais nous suivrons l’affluence avec des millions de français — des heures durant — et cela sera inoubliable. J’aurais voulu saisir la plume de Victor Hugo pour narrer cette fresque de fils et de filles d’immigrés, entrelacés, échangeant sourires et s’entrechoquant les poings : un instant, les générations s’unissent hors du trouble des religions, de l’appartenance ethnique, des préjugés sexuels. « Le soleil donne la même couleur au gens », chantait si bien Laurent Voulzy.

Avec le mouvement, inévitablement et sûrement, nous passâmes en procession le long de l’aile Richelieu contenant ses chefs-d’œuvre, et je rêve, sous cet azur apollinien qu’avec l’âge quelques-uns des anonymes dispersés dans ce rassemblement, s’approprieront ce passé qui m’importe tant depuis de si nombreuses années.

Nous avancions dans la foule de plus en plus bruyante et festive à travers la Place de la Concorde. Des souvenirs me reviennent en flashback : la première fois que je découvris son immensité, par un temps d’automne au soleil couchant –il y a plus de quarante ans– sorti tout juste du métro, je me rendais à l’Eglise de la Madeleine. Je me souviens aussi des paroles de mon oncle Harold Kingdon — il aurait eu cent ans maintenant — qui conduisait un camion de l’armée américaine en ce lieu même, à la Libération de Paris en 1944. Menuisier, il était chargé d’y construire des gradins comme ceux qui restent encore de la célébration du 14 juillet. Il en fit plus tard à Nuremberg. Me taquiner l’amusait, me demander à chacun de mes retours si je suis « toujours grenouille » l’enchantait. Au ciel, je perçois étinceler dans sa gloire, au sommet de l’obélisque, le pyramidion redoré par le don signé Pierre Bergé-Yves St-Laurent. « La Marseillaise » retentit à tout moment, spontanément, dans différents tonalités, divers dialectes des régions et banlieues, toujours entonnée avec enthousiasme et sincère conviction !

Pour soulager mes pieds, je m’assieds sur un bloc devant l’Hôtel de Crillon, le temps d’un coup d’œil sur sa façade magnifiquement remise-à-neuf. Dans le ciel, des couleurs chantent : un bleu de Liberté, complété par un rouge triomphant si passionné ! Les bruits assourdissants perdurent dans la joie et l’ivresse de bonheur, l’amour et l’espoir dans l’humanité. Nous suivons les pas du peuple de France, sans fatigue et sans ralentir, car nous avons gagné ! La vue des Champs-Elysées se déploie devant nous avec la gloire de son Histoire, le prestige de son image à travers le monde.

La France, à l’image de cette avenue ce soir, exalte une équipe, son travail, sa jeunesse et son optimisme. Ne me parlez plus de gamins sans espoir, sans futur, une France désespérée, sans avenir. J’y étais, j’ai vu et j’ai vécu ce moment d’exception. Notre Histoire, cette vaste culture qui est à nous tous, c’est notre avenir aussi, à croquer et à savourer, pour enrichir notre vie. Nous reprenons à partir de maintenant nos existences avec le courage d’agir pour vivre ensemble et heureux.

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